La grotte du Pis de la Vache

Historique des grottes de La Forge

par l'Abbé Coldefy

Le pèlerinage bourzollais de Notre-Dame des Grottes n'est pas un de ces antiques pèlerinages dont l'existence se confond dans la nuit des temps avec l'histoire d'une province ou de quelque cité, ni l'effet d'une apparition de la Vierge. Il n'a guère plus de quatre-vingts ans, et c'est à la piété du père de Madame Deltheil, la châtelaine de La Forge, et d'un curé de Bourzolles qu'il doit son origine.

Monsieur Lecomte et l'abbé Pechmège avaient l'habitude de se promener ensemble dans les bois de la Combe du Play. Leur promenade se terminait, à mi-côte de la montagne, près d'un rocher présentant une petite anfractuosité. Ils eurent la pieuse inspiration d'y placer une statue de la Vierge, ce qu'ils firent le samedi 26 octobre 1844.

On peut dire que le pèlerinage était fondé. En même temps, quelques membres de la famille Deltheil et des personnes pieuses de la paroisse eurent à cœur de venir invoquer Marie auprès de ce rocher. Leur exemple fut fécond : peu à peu, le nombre des visiteurs augmenta et l'on put organiser des processions en ce lieu béni.

Ce développement fut grandement favorisé par des modifications et améliorations, dues à Madame Deltheil, qui lui donnèrent son caractère particulier. Voici comment elle en prit l'initiative : il existe à Paris une église célèbre pour son culte à la Vierge, Saint-Séverin.

« C'est sous sa nef que l'Immaculée Conception fut vénérée six siècles avant d'être déclarée dogme de foi. C'est en cette église que, lorsque l'Université de Paris eut adopté les thèses de saint Anselme et du docteur subtil, le franciscain Scot, fut fondée, en 1311, une confrérie pour honorer sous le titre d'Immaculée la fille de Joachim (Huysmans). Aujourd'hui encore, si les fidèles ne s'y portent pas autant qu'à Notre-Dame des Victoires, elle a néanmoins, en dehors des fidèles du quartier, ses visiteurs ; nous avons nommé “Saint-Séverin”. [...] De même que la plupart des basiliques, l'église de Saint-Séverin telle que nous la voyons aujourd'hui fut construite en plusieurs fois ; elle chevauche, ainsi que ses grandes sœurs les cathédrales, sur plusieurs styles. L'abside est une des plus étonnantes ombellis qu'on ait jamais brodées pour abriter le Très-Saint-Sacrement de l'autel. »

Quelles qu'aient été les circonstances, les raisons de famille ou de conscience qui l'avait amenée à s'adresser à elle, Madame Deltheil avait une grande dévotion à Notre-Dame de Saint-Séverin, connue et honorée depuis 1840 sous le titre d’Immaculée Mère de la Sainte Espérance. C'est ainsi que, le 15 août 1857, elle faisait placer dans la chapelle de Saint-Séverin, avec un écrit de sa main contenant ses intentions, un cœur brodé entouré de brillants, surmonté d'une croix en brillants avec chiffre de la Vierge et ses propres initiales en lettres gothiques.

D'autre part, chaque fois que ses relations, ses affaires, les occupations de son mari l'appelaient à Paris, elle venait s'agenouiller dans cette même chapelle, y prier pour elle et ceux qui lui étaient chers. C'est sans doute à l'occasion de ces pieuses visites que le souvenir de la petite grotte du Play vint à son esprit. Cette grotte, pourquoi ne pas la consacrer à N.D. de la Sainte Espérance ? Pourquoi ne pas remplacer la statue placée par M. Lecomte et M. Pechmège par une copie de celle de Saint-Séverin ? Ne serait-ce point là le moyen de rappeler les grâces reçues et de s'attirer une protection plus bienveillante encore ?

Et puis, durant les longs séjours à La Forge, quelle consolation de pouvoir, tout comme à Paris, aller prier au pied de l'image de sa bonne et sainte Patronne ! Ne serait-il même pas possible de faire connaître Notre-Dame de la Sainte Espérance et d'établir un pèlerinage en son honneur ? Les lieux s'y prêtaient admirablement.

Un peu au-dessus du rocher devant lequel venaient prier M. Lecomte et M. Pechmège, dans un site encore plus sauvage, se trouvait une grotte vaste et spacieuse, à la voûte élancée. Devant l'entrée, on pouvait très facilement aménager une esplanade et tracer des sentiers pour y arriver. Dès lors, ce ne seraient plus quelques rares personnes, mais des foules qui viendraient y prier.

C'est donc là, dans cette grotte, qu'il fallait placer la statue de Notre-Dame, non pas en cachette, en petit comité, en famille, mais avec le plus de solennité possible. L'idée était excellente et certainement voulue de Marie, inspirée par Elle.

Immédiatement, Mme Deltheil se mit à l'œuvre. Elle sut intéresser à son projet le curé, les habitants de la paroisse et Mgr Bardoux, évêque de Cahors. La statue de N.D. de la Sainte Espérance fut achetée et bénie sur l'autel même de Saint-Séverin. Une grande croix fut placée sur le rocher qui domine la grotte. Un chemin assez large pour qu'une procession pût librement s'y développer fut ouvert. De nombreux et chaleureux appels furent adressés aux habitants de la paroisse et des paroisses avoisinantes.

Et le 10 octobre 1858, jour de la fête de la maternité de la Sainte Vierge, eut lieu la grande cérémonie projetée. Si nous nous en rapportons à un compte rendu qui nous a été conservé et à quelques lettres de Mme Deltheil, cette cérémonie fut vraiment splendide.

Après les vêpres, que présidait M. Gracie, curé de Souillac, assisté de M. Brunet, curé de la paroisse, et de M. Laverdet, curé de Reyrevignes, une procession se forma, compacte et nombreuse, grossie à chaque pas par des groupes de fidèles étrangers.

La bannière de Reyrevignes, la nouvelle bannière de Bourzolles avec son inscription toute d'actualité Notre Dame des Grottes, Immaculée, Mère de la Sainte Espérance, dominaient la foule, tandis que les jeunes filles de la paroisse, vêtues de blanc, portaient en triomphe la statue de la Vierge.

Aux chants des cantiques et aux pieux murmures des chapelets égrenés, on longea la vallée de la Borrèze que l'on traversa à La Forge, puis on s'engagea dans la Combe du Play. Là, de nouveaux fidèles se joignirent encore à la procession tandis que d'autres la contemplaient de loin, du haut de la montagne comme suspendues au rocher.

À la grotte, la statue, une fois placée dans sa niche, M. le curé de Souillac, qui déjà à l'église avait célébré les grandeurs de Marie, inspiré par cette pompe rustique plus encore que par cette foule empressée, fit entendre des paroles qui émurent profondément les cœurs.

Après quoi, toujours en procession dans le même ordre, on retourna à l'église pour recevoir la bénédiction du Très Saint Sacrement.

Mme Deltheil, on le comprend, débordait de joie. Son rêve était enfin réalisé.

« Dans ces lieux sauvages, devant cette grotte dont la mystérieuse entrée conduit à des profondeurs ténébreuses, image de l'âme que n'éclaire pas le flambeau de la foi, brillera la douce image de la Mère de Dieu. »

On y viendra avec confiance offrir ses vœux et déposer ses peines au pied de Celle qui les guérira souvent et toujours les adoucira par l'espérance.

Parmi les nombreuses lettres qu'elle reçut à l'occasion de cette fête, relevons-en une de Mgr Bardoux, homme d'une particulière bienveillance :

« Accord d’une indulgence de 40 jours, à toute personne qui récitera un Pater et un Ave soit au pied de la statue principale de la grotte, soit au pied de la croix plantée au bas de la côte qui conduit à la grotte, soit de la grotte dite de la Mission. »

Des stances à la Vierge lui furent adressées par un nommé Sidonie Chantelcuve de Souillac. Ces stances ne sont rien de très poétiques ; toutefois, elles ont fourni un thème de cantique en l'honneur de Notre-Dame de la Sainte Espérance.

Malgré tous ces éloges en prose ou en vers, Mme Deltheil ne jugea pas son œuvre complètement terminée. Elle résolut encore de faire affilier la paroisse de Bourzolles à l’archiconfrérie en l’honneur de Marie, établie à Saint-Séverin. Pour cette affiliation, le jour anniversaire de l’érection de la statue paraissait tout indiqué.

Elle fit, dans ce but, écrire à Mgr Bardoux par le curé de la paroisse. Une copie des statuts de l’archiconfrérie et des indulgences dont elle est enrichie était jointe à la demande, ainsi que le certificat d’affiliation délivré par le curé de Saint-Séverin, qui ne demandait que le visa de sa Grandeur. L’autorisation de faire une procession tous les ans à la grotte était également sollicitée.

Mgr hésita un moment à accorder cette double faveur, sans que l’on voie bien pourquoi. Mme Deltheil intervint alors personnellement, et le 13 octobre, elle recevait la réponse qui suit :

« Madame, grâce à votre intervention et au nouveau motif que M. le curé veut bien m’exposer, j’accorde tout pour votre cérémonie de dimanche prochain. Je connaissais de réputation la confrérie de Saint-Séverin et je suis heureux de la voir s’établir dans mon diocèse. Nous sommes dans un temps où l’on trouve quelque consolation à invoquer Marie sous le titre de Notre-Dame de la Sainte Espérance. »

Le 16 octobre 1859, eut donc lieu en même temps que l’érection de la statue de la Vierge, l’affiliation de la paroisse à l’archiconfrérie de Saint-Séverin. Ce jour-là encore, M. Graeis, curé de Souillac, présidait la cérémonie.

Depuis ce jour, tous les ans, avec l’assentiment de l’autorité diocésaine, la paroisse de Bourzolles se rendit en procession à la grotte ; chaque année vit s’accroître le nombre des fidèles qui prenaient part à cette pieuse manifestation. Mais il était réservé à l’année 1890 de voir se développer dans cet oratoire le culte de celle que l’on n’invoque jamais en vain.

Jusqu’ici, une simple procession au pied de la statue constituait toute la fête en l’honneur de Notre-Dame de la Sainte Espérance. Combien différent aurait été l’éclat de cette fête si la messe, les vêpres et la bénédiction du Très Saint Sacrement, au lieu de se célébrer dans l’église paroissiale, avaient eu lieu dans la grotte même.

Or ce résultat fut obtenu grâce à M. Julien Valat, nouveau propriétaire de La Forge, encouragé par M. Toureille, curé de Bourzolles. Il fit élargir l’entrée de la grotte et aplanir l’intérieur, érigea un autel roman, fit sculpter une chaire dans le roc, suspendit un lustre en fer forgé, et fit remplacer la statue de 1858 par une autre, plus grande et plus soignée. Une cloche fut installée au-dessus de l’entrée, fermée par une grille portant l’écusson de la Vierge et l’inscription :Notre-Dame des Grottes, Immaculée, Mère de la Sainte Espérance.

Un nouveau chemin, moins raide et plus large, fut aménagé, et pour que le trajet fût saintement employé, un chemin de croix de 14 stations en fonte fut fixé aux rochers.

Les faveurs accordées

Le pape Léon XIII, par un bref du 4 juin 1890, accorda une indulgence plénière applicable aux âmes du purgatoire à ceux qui, après avoir reçu les sacrements, visiteraient l’oratoire le dernier dimanche de septembre. De son côté, Mgr Grimardias, évêque de Cahors, accorda une indulgence de 40 jours à ceux qui réciteraient un Avé au pied de la Vierge. Enfin, par lettre du 17 septembre 1890, il fixa au dernier dimanche de septembre la date du pèlerinage, désigna M. Vertu, curé de Souillac, pour la bénédiction du chemin de croix et autorisa la célébration de la messe dans le sanctuaire six fois par an.

La fête du 28 septembre 1890

Le dimanche 28 septembre 1890, dès l’aube, une foule nombreuse se rassembla sur l’esplanade de la grotte. M. le chanoine Gracie, archiprêtre de Gourdon, procéda à la bénédiction de l’autel, de la statue et des ornements. Le curé de Bourzolles célébra la messe, accompagnée d’un cantique composé pour l’occasion par un chœur de jeunes filles.

Après la messe, le Saint Sacrement fut exposé, et toute la journée une garde d’honneur de fidèles se succéda en prières et en chapelets. L’après-midi, une procession partit de l’église du village au son des cloches, passa par La Forge et rejoignit la grotte, grossie par des fidèles de toutes parts.

Les bannières étincelantes, le clergé nombreux, les enfants portant le drapeau de Marie et chantant des cantiques angéliques donnaient un spectacle imposant. Tout en montant, la bénédiction du chemin de croix fut faite, et au chant du Te Deum on pénétra dans la grotte.

Le salut solennel du Très Saint Sacrement fut donné par M. Vertu, curé de Souillac. Le soir, une immense croix illuminée brillait au-dessus de la grotte, tandis que des feux de Bengale et un feu d’artifice donnaient à La Forge un aspect féérique. On y vit apparaître le monogramme de la Vierge, accompagné des derniers cantiques et prières des fidèles.

Depuis lors, avec l’autorisation de Mgr Enard, la fête de Notre-Dame des Grottes fut transférée au premier dimanche d’octobre. Chaque année, la paroisse de Bourzolles renouvelle cette pieuse et imposante manifestation.